Tout comme l’Europe, l’Afrique a voulu maturer son intégration politique et, à terme, économique. Malgré un contexte géopolitique complexe, les « pères » de l’unité africaine ont placé les bases de ce défi avec l’espoir de le voir, un jour, relevé. Sur le plan des affaires en particulier, il faudra pouvoir commercer sur tout le continent avec, à terme, une charte financière et une monnaie uniques. On est peut-être arrivé aujourd’hui au tournant de cette « révolution » envisagée en trouvant de meilleures réponses aux questions posées.
La question de l’intégration
Comme le rappelle le professeur Christian Deblock de l’Université du Québec à Montréal dans une étude consacrée à la question, « le concept d’intégration renvoie à l’idée de fusion de deux ou plusieurs unités distinctes en vue de former une nouvelle entité. Bien que déjà utilisé dans l’entre-deux-guerres, notamment pour qualifier l’économie mondiale, le concept n’a vraiment commencé à être utilisé dans le domaine des affaires internationales qu’après la Seconde Guerre mondiale lorsque plusieurs projets de regroupement économique et politique ont commencé à voir le jour, en Europe et en Amérique latine notamment (…) Le terme d’intégration paraissait tout à fait approprié pour qualifier des projets dont la finalité était de rapprocher toujours plus étroitement les économies concernées jusqu’à l’unification complète, prélude à la formation d’une entité politique nouvelle. »
En Afrique, l’Union africaine(UA), née en 2003 des cendres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), a multiplié les engagements. Sauf qu’au-delà des bonnes intentions, l’intégration politique africaine s’avère plus compliquée qu’il n’y paraît. Les intérêts étant forcément divergents à la base. Ce qui fait que l’UA, dans les faits, a rarement réussi à régler par exemple les questions de paix et de sécurité, qui étaient inscrites dans ses missions prioritaires. La Pax Africana telle que théorisée un temps par le Togolais Edem Kodjo, alors secrétaire général de la défunte OUA, peine à chaque fois de s’imposer dans les différents conflits. D’autre part, les Africains parlent rarement d’une même voix sur la scène mondiale, coincés pour la plupart par une « abstinence » causée par l’influence des grandes puissances, chacune dans son « pré-carré ». Comment, dans ce cas, s’affranchir des agendas politiques fixés ailleurs qu’en Afrique et proposer une démarche cohérente ? Le « Grand bond en avant » africain se situerait certainement entre une harmonisation des politiques et l’établissement d’un vrai climat de confiance entre les dirigeants et leurs peuples, mais aussi entre les dirigeants et leurs pairs sur la scène africaine et mondiale.
L’Afrique sera une ou ne sera pas; le parcours compliqué de l’intégration
Ces appréhensions semblent entendues et comprises en « haut lieu » car dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA), on parle notamment de mettre l’accent sur la mobilisation des populations et leur appropriation des programmes du continent. Il y est également question du principe d’auto-dépendance et de financement de l’Afrique pour son développement, de l’importance de disposer des pays et des institutions capables, inclusifs et responsables à tous les niveaux et dans toutes les sphères, du rôle essentiel des Communautés économiques régionales en tant que pierres angulaires de l’unité du continent, en tenant compte des défis particuliers auxquels font face les États insulaires et les États enclavés et de se tenir responsables des résultats. Toutefois, rappelle-t-on, l’Agenda 2063 ne se produira pas spontanément, car cela exige des efforts conscients et délibérés visant à favoriser un esprit d’initiative qui suscite la transformation pour diriger les programmes et défendre les intérêts de l’Afrique.
Cet engagement trouve sans doute un écho de plus en plus favorable auprès d’une frange très importante de la nouvelle génération d’Africains, conscients de l’enjeu et de l’héritage à façonner. Tous savent qu’il ne pourrait y avoir d’intégration réelle sans une volonté politique et une adoption de valeurs communes entre les États. L’arrimage de l’économie au politique passe par ce mécanisme de cohérence dont sont totalement dépendantes les plateformes financières et économiques. Enfin, le réalisme impose aux pays africains d’avoir la patience de se réformer pour s’intégrer, selon un calendrier qui n’exige pas de miracles. L’Union européenne a mis bien plus d’un demi-siècle à trouver des compromis pour sa formalisation. L’Afrique ne pourrait sérieusement prétendre à moins, d’autant plus que son histoire politique est très récente et son tissu de 54 États est d’une complexité extrêmement délicate.