L’idée de la création d’une monnaie unique en Afrique envoie ses racines dans les premiers objectifs assignés à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963. Elle revient encore devant les projecteurs de l’actualité en 2001, lorsque les Etats membres de l’OUA conviennent de muer leur regroupement continental en Union africaine(UA) avec pour mandat de construire l’unité politique et économique du continent et de relever les défis de la mondialisation sous toutes leurs formes.
Les Banques centrales africaines embrassent le projet
Née en 1965 à Addis Abéba en Ethiopie, l’Association des Banques centrales africaines(ABCA) se donne pour objectif principal de favoriser la coopération dans les domaines monétaires, bancaires et financiers et envisage l’avènement d’une monnaie unique et d’une Banque centrale commune en Afrique. Pour plus d’efficacité, l’ABCA travaille de concert avec l’Union africaine. De toute évidence, la volonté politique est réaffirmée et les Banques Centrales, pierre angulaire du processus, travaillent à la maturation du projet de monnaie unique africaine.
Cette option prise se situe en droite ligne de la décision des chefs d’Etat membres de l’OUA réunis à Abuja au Nigéria en 1991 de créer trois principales institutions financières devant assurer l’intégration et financière de l’Afrique, à savoir, le Fonds Monétaire Africain(FMA), la Banque Centrale Africaine(BCA) et la Banque Africaine d’Investissement(BAI). La suite du traitement du dossier, malheureusement, n’ira pas dans le sens de Lucas Abaga Nchama, alors Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale(BEAC), qui entrevoyait dans la démarche amorcée une opportunité pour avancer dans la mise en œuvre du programme de coopération monétaire et financière intra-africaine et préparer l’avènement de la monnaie unique africaine.
Mouammar Kadhafi : plus concret dans son approche
Le président libyen a hâte de concrétiser les rêves de Kwame Nkrumah et de Cheikh Anta Diop. Ces deux grands penseurs ghanéens et sénégalais ont eu, chacun, le mérite de formuler des théories denses sur l’urgence de l’unification de l’Afrique. Mouammar Kadhafi va aussi loin que proposer la mise en place d’une Union Monétaire Africaine(UMA). Dans la foulée, il débloque la somme de 30 milliards de dollars (environ quinze mille milliards de FCFA) pour le démarrage de cette institution dont Yaoundé, la capitale du Cameroun, devait en abriter le siège. Le président libyen planifie également la création d’une Banque Centrale Africaine qui devait, elle, être installée à Abuja au Nigéria, avec pour ambition de commencer à émettre une monnaie africaine à partir de 2014.
Suite à la mort de Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, les espoirs s’estompent. Les particularismes et les égoïsmes économiques et commerciaux des Etats africains ne facilitent d’ailleurs plus la convergence vers le renforcement des dynamiques unitaires du continent africain.
L’horizon 2021 couvert d’épais nuages
L’Association des Banques Centrales Africaines adopte à Alger(Algérie), le 04 septembre 2002, un programme de travail pour doter l’Afrique d’une monnaie et d’une Banque Centrale à l’horizon 2021. Malheureusement, tous les acteurs ne regardent pas dans la même direction. Pour certains experts, la diversité des monnaies ne constituerait pas un véritable obstacle aux échanges entre les pays africains. L’urgence en Afrique, affirment –ils, c’est de constituer un marché intégré qui requiert un développement des infrastructures de communication à l’intérieur du continent africain. En clair, la monnaie unique ne serait pas une panacée.
L’autre difficulté répertoriée dans le processus de construction de la monnaie unique panafricaine repose sur le fait que la majorité des monnaies nationales africaines souffrent d’une instabilité chronique liée à la faiblesse des économies des Etats. De plus, les économies des pays africains évoluent à plusieurs vitesses. Ce qui complique l’instauration de la monnaie commune, le leadership entre certains dirigeants, l’harmonisation et la stabilité du régime de change ou la convergence de certaines politiques économiques et financières.
2021, si proche, si loin ? De toutes les façons, les débats autour de l’avènement d’une monnaie unique en Afrique font encore des choux gras dans les cabinets des politiques, les institutions spécialisées et les experts en politique monétaire. Certainement pas pressés de remettre leurs copies définitives. Pourtant, en considérant que l’Afrique représente déjà un marché de près d’un milliard de consommateurs, il serait souhaitable que l’idée de la création de la monnaie unique africaine cesse de relever du registre de l’utopie pour amorcer un envol réaliste, mieux planifié et tenant grand compte de la complexité des différentes facettes de la monnaie en Afrique.
Jean-Mathias KOUEMEKO