Au commencement, les multinationales se recrutaient parmi ces grandes entreprises basées en Occident qui, du fait de leurs moyens financiers colossaux, allaient à la conquête du monde pour maximiser les retours sur investissements. Et, au passage, considèrent l’Afrique comme terre en friche à exploiter. Année après année, les entrepreneurs africains prennent solidement pied dans les affaires, essayent d’inverser la tendance et récupèrent aux investisseurs étrangers, des parts de marchés substantielles.
Selon les statistiques rassemblées par des experts, l’économie mondiale est animée par environ 65 000 entreprises multinationales adossées sur quelque 850 000 filiales étrangères. Elles sont présentes dans les activités économiques au nombre desquelles la pêche, l’extraction minière, la fabrication, le transport, les finances, la production pharmaceutique, l’énergie, les services portuaires et les télécommunications, entre autres. Au début des années 2000 par exemple, sur les cent grandes économies mondiales, 51 étaient des entreprises et 49 des États. Ces acteurs majeurs de l’économie mondiale dominent les investissements étrangers directs(IED) sur la planète. Environ deux tiers des IDE destinés aux pays en développement ont pris la direction de l’Asie cette année-là.
Moudre du blé pour la mère patrie
Il est à noter que l’Afrique n’a reçu qu’une portion de 5% de ces IED, qui a, paradoxalement, permis aux multinationales occidentales d’imposer leur loi sur le continent. Le rapport sur l’investissement dans le monde en 2016 établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement(CNUCED), soulignait déjà qu’à moyen terme, les flux d’IED devaient recommencer à croître en 2017 et dépasser 1800 milliards $US en 2018 sous l’effet d’une reprise attendue de l’économie mondiale. Pour le bonheur des pays d’origine des multinationales occidentales.
Dans son ouvrage intitulé « De quoi Total est-elle la somme ? », Alain Deneault soutient que la multinationale française Total mène le tiers de ses activités pétrolières en Afrique. Les plus visibles sont mises en œuvre dans le précaré français avec une forte influence sur le pouvoir politique. On peut citer en exemple le cas du Congo Brazzaville dont le président élu, Pascal Lissouba, est destitué en 1995 par Denis Sassou Nguessou avec l’appui des lobbies des multinationales de droit français soucieuses de protéger leurs intérêts dans les secteurs stratégiques de l’économie du pays.
Lors d’un séminaire sur les firmes multinationales en Afrique conjointement organisé à Dakar au Sénégal, en 1974, par L’Institut africain pour le développement économique et la planification de Dakar et l’Institut scandinave d’études africaines d’Uppsala en Suède, les communications ont abouti à la conclusion que les multinationales transforment, et souvent profondément, la réalité économique et sociale des pays africains dans lesquels elles interviennent. Quarante-quatre ans plus tard, cette réalité douloureuse reste immuable.
Le sursaut d’orgueil des Africains
Concrètement, dans la liste des multinationales étrangères en Afrique, figurent le groupe Bolloré, Orange, Cotecna, Air France, Areva, les tenants de la grande distribution que sont Wall Mart, Leader Price, les banques (Société générale, Eximbank, Banque populaire…) et les gros producteurs de ciment allemand, français et suisse. Fort heureusement, l’Afrique se refuse à continuer de subir le diktat des multinationales qui, froidement, ne gèrent que leurs intérêts égoïstes et pompent les ressources du sol et du sous-sol partout où elles peuvent les trouver.
De ce point de vue, il est né sur le continent africain, ces dernières années, une nouvelle race d’investisseurs déterminés à soustraire l’économie africaine des serres des multinationales occidentales. Des entreprises nationales ayant pignon sur rue dans plusieurs pays africains et au-delà voient le jour sous l’impulsion de fondateurs charismatiques. Le Nigérian Aliko Dangote est à la tête d’un groupe qui porte son nom. Il réalise un chiffre d’affaires de 3 milliards $US par an. À travers sa branche Dangote Cement, l’entreprise mène une offensive industrielle agressive dans plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne. En 2015, sa production de ciment devait passer à 46 millions de tonnes pour la hisser au sixième rang mondial dans le négoce du ciment, rivalisant ainsi avec le français Lafarge, le suisse Holcim et l’allemand Heidelberg Cement. Dans le même sillage, le Béninois Samuel Dossou- Aworet, président du groupe Pétrolin, étend sa zone d’activités sur tout le continent et le Moyen-Orient. Au Nigéria, géant pétrolier en Afrique, le groupe Pétrolin a réussi à gagner un grand appel d’offres sur le bloc pétrolier, OML 34, en battant des multinationales internationales de haut vol.
Le groupe Orascom en Egypte développe de fortes capacités dans les secteurs du ciment, des télécommunications et de la télévision, notamment en Irak, au Nigéria et au Pakistan. Orascom, depuis 2015, occupe la position d’actionnaire majoritaire de la chaîne de télévision internationale Euronews basée à Lyon en France. Cevital, en Algérie, développe son réseau international au Rwanda et au Brésil. D’autres multinationales africaines de poids vont s’affirmer dans les secteurs de l’exploitation pétrolière (Sonatrach en Algérie, Sonangol en Angola), du trading (Salan et Bidvest en Afrique du Sud), de l’énergie (Estom, Sasol en Afrique du Sud), du mobile (MTN group en Afrique du Sud) de la banque ( Afriland First Bank, projet monté méticuleusement par le grand banquier camerounais, Paul Fokam Kanmogne, le 20 juillet 1987, pèse un chiffre de 690 millions $US et prospère en Afrique, en France et en Chine. Ces multinationales africaines ont en commun de réaliser des chiffres d’affaires importants qui résultent d’une intense activité menée en Afrique et dans les autres régions du monde, pour le développement du continent africain.
Flexibilité des textes et appuis des États
Dans une interview accordée au magazine Tribune d’Afrique, édition du 27 octobre 2017, le directeur de la stratégie de l’Initiative AfroChampions, Michael Kottoh, se félicitait de ce que les multinationales africaines peuvent avoir une influence très positive pour faire avancer les projets structurants, telle la mise en place de la zone de libre-échange continentale. De plus, ajoutait-il, les dirigeants de ces grandes entités économiques peuvent exprimer leurs besoins, pointer tous les obstacles empêchant leur expansion en Afrique. Notamment, les exigences en termes de visas, de politiques fiscales et d’accès aux permis de travail.
En définitive, les multinationales africaines se font la main dans les affaires et arrivent à braver les murs d’obstacles érigés sur leur chemin par les rigueurs de la concurrence et de la compétitivité internationales. Les résultats probants enregistrés par les « patrons » africains dans tous les secteurs engagent les États à s’organiser pour soutenir la mouvance, comme c’est d’ailleurs le cas, dans les stratégies nationales des pays d’origine des grandes multinationales d’ailleurs.
Jean-Mathias KOUEMEKO