Le Cameroun est résolument inscrit dans la modernisation agricole afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire, créer des emplois, améliorer la productivité et développer les exportations.
Au mois de janvier 2011, dans les profondeurs de la forêt équatoriale, au Comice agro-pastoral d’Ebolowa (Région du Sud), la plus grande fête du monde rural, réhabilitée après vingt ans d’absence, le président de la République a quasiment déclaré sa flamme aux « seigneurs de la terre ». « Le Cameroun compte avant tout sur le secteur primaire, notamment l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’artisanat, pour devenir, à l’horizon 2035, un pays émergent », a déclaré Paul Biya, sans vraiment surprendre grand-monde. L’homme est en effet constant sur la place de l’agriculture dans son pays : « Vous vous souvenez, j’en suis sûr : depuis une vingtaine d’années, je ne cesse de répéter que l’agriculture, au sens le plus large – c’est-à-dire complétée par l’élevage et la pêche – est la véritable richesse de notre pays et que les recettes minières et du pétrole, aussi utiles qu’elles soient, ne peuvent être la seule base de notre développement. »
On n’en attendait pas moins de ce chef d’État, fils d’agriculteur, devenu au fil du temps un amoureux de la terre, qu’il cultivait de ses mains dans sa jeunesse. C’est en vrai passionné que Paul Biya élabore sur la nouvelle politique agricole du pays. « En premier lieu, elle doit nourrir notre population ou, en d’autres termes, assurer notre autosuffisance alimentaire (…). Deuxièmement, dans un pays comme le nôtre, où 60 % de la population vit de l’agriculture, celle-ci devrait être le premier pourvoyeur d’emplois (…). D’autre part, la capacité de production de notre agriculture reste fortement sous-exploitée (…). Enfin, l’insuffisance de certaines productions, comme le riz, le maïs, le sucre, le poisson nous oblige à en importer d’importantes quantités, ce qui déséquilibre gravement notre commerce extérieur », a-t-il indiqué comme une feuille de route à tous les acteurs du monde rural.
Une agriculture respectueuse de l’environnement
Comment parvenir à réaliser ce cahier de charges ? Le président de la République a une idée précise de là où il entend conduire l’agriculture camerounaise. « Il s’[agit], je le rappelle, d’avancer dans la voie de la modernisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche traditionnels afin d’accroître la production et la productivité des petites exploitations et de favoriser l’émergence d’unités de production de « seconde génération », c’est-à-dire d’entreprises de moyenne et grande taille respectueuses de l’environnement. »
On comprend pourquoi le gouvernement camerounais est résolument engagé dans le développement de l’agriculture, qui représente 45% du PIB du pays. Mais la mode n’est visiblement plus aux recettes culturales de grand-mère, il faut passer à l’agriculture de seconde génération. La mécanisation de l’agriculture a ainsi été mise au goût du jour, avec l’implantation d’une usine de montage des tracteurs à Ebolowa, que Paul Biya va visiter durant son séjour dans la capitale régionale du Sud en janvier 2011. En mars 2012, 1 729 équipements agricoles de pointe constitués de 111 tracteurs dernière génération, des moissonneuses-batteuses, des repiqueuses, des motopompes et des semeuses sont réceptionnés par le ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minader). Ces engins, selon le Minader, « seront en priorité mis à la disposition des écoles de formation des professionnels en agriculture et des associations de producteurs. » L’acte est déjà symbolique, mais le gouvernement va aller plus loin en s’intéressant de plus près à la production et à la transformation.
Le programme Agropoles en première ligne
Le 6 août 2012, le Premier ministre crée le programme Agropoles. C’est le vaisseau-amiral gouvernemental pour la promotion de l’agriculture de seconde génération. Sa mission est d’accroître la production et la transformation des produits issus des filières végétale, animale, halieutique et forestière au Cameroun, par l’utilisation des techniques modernes. Selon les responsables du ministère de l’Economie, « l’État entend appuyer celles des exploitations qui utilisent des pratiques modernes compétitives ». Car, il s’agit de « promouvoir l’agriculture de seconde génération, c’est-à-dire des exploitations modernes ».
Quinze agropoles sont lancées dès 2013. Il y en a aujourd’hui 45 consacrées à une quinzaine de produits. Par exemple, le programme Agropoles est intervenu en mars 2018 auprès de 29 producteurs réunis dans un agropole à Zoétélé. Grâce à cet appui, cette agropole de production et de commercialisation de poisson va porter sa production de 44 à 183 tonnes. Mais en janvier déjà, le programme Agropole a apporté un financement de près de 600 millions de FCFA pour une agropole de Bazou dans la Région de l’Ouest, afin de permettre la production de 241 tonnes de poissons clarias et 1 300 000 alevins par an. Ces agropoles ne sont pas choisies au hasard. En effet, le pays perd chaque année l’équivalent de près de 200 milliards de F CFA pour importer du poisson, ce que le gouvernement veut conjurer. Des actions similaires sont menées sur le riz, autre produit massivement importé, le maïs ou encore la pomme de terre.
Le produit emblématique de la nouvelle politique agricole est sans conteste le poivre blanc de Penja, dont le label est aujourd’hui internationalement reconnu. Le programme Agropoles a apporté son appui à 18 porteurs de l’agropole de poivre de Penja à hauteur de près de 600 millions de FCFA. La production de cette agropole passera de 62 à 271 tonnes à l’horizon 2020. La production annuelle du poivre blanc de tout le pays est actuellement de plus de 300 tonnes, dont 70% sont consommées localement. Le pays a l’opportunité de conquérir la demande mondiale de ce produit, le premier d’Afrique subsaharienne à bénéficier en 2013 d’une indication géographique (IG), une appellation d’origine et de qualité attribuée par l’Union européenne (UE).
Un encadrement de proximité des producteurs
Il ne fait plus de doute que l’agriculture camerounaise est sur la voie de la mécanisation et de sa modernisation. Mais le chemin est encore long pour atteindre la masse critique de producteurs convertis à l’agriculture de seconde génération. L’agriculture artisanale reste la plus répandue (90% des exploitations agricoles sont domestiques), héritage d’une longue pratique ancestrale, mais dont les limites sont révélées par les changements climatiques et une demande en nette croissance. C’est pour cette raison que des actions d’encadrement de proximité sont menées sur le terrain. Les producteurs de cacao, par exemple, témoignent que les encadreurs leur apprennent les critères de sélection du site et de la plantation de cacaoyer, la mise en place de la pépinière, les techniques d’utilisation du matériel et des pesticides, les techniques d’entretien d’une plantation de cacao, la technique de remplissage et de rangement des sachets, l’utilisation d’un pulvérisateur, la construction d’une ombrière, le port des équipements de protection individuel.
Gisement d’emplois et de recettes, l’agriculture de seconde génération est aussi demandeuse de compétences. Le gouvernement a aussi apporté une réponse à cette préoccupation avec la création d’un institut des sciences halieutiques et d’un lycée agricole dans la ville de Yabassi, dans le département du Nkam. Il a aussi réhabilité l’Ecole publique d’agriculture de Binguela (EPAB). Tous viennent renforcer le dispositif de formation existant, qui fait du Cameroun une terre d’agriculture du futur.