Lubie intellectuelle ou réel baromètre de l’économie mondiale, l’émergence est devenue un repère incontournable validé par les principaux cercles de décision dans le secteur. Que ce soit au Fonds monétaire international ou à la Banque Mondiale, les passerelles d’évaluation y font mention sans réserves.
L’Afrique est entrée de plein pied avec l’admission de l’Afrique du Sud, véritable géant d’un continent que l’on donnait pour perdu. Aujourd’hui la tendance est palpable de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud du continent. Nouvel El Dorado des affaires, l’Afrique se prend à rêver. Mais puisque l’émergence ne se décrète pas, qu’en est-il réellement de cette forêt de prétendants ?
D’abord select, le club des émergents s’est régulièrement garni en une décennie. De Goldman Sachs au début des années 2000 avec les BRIC devenu BRICS, plusieurs acronymes se sont rajoutés, selon l’inclinaison corporatiste et les critères de leurs initiateurs. On notera successivement le « Next-11 », regroupant le Bangladesh, l’Egypte, l’Indonésie, l’Iran, la Corée du Sud, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines, la Turquie, et le Vietnam. Créé par Jim O’Neill de Goldman Sachs, il regroupe les pays les plus peuplés après les BRICS.
Ensuite les CIVETS : regroupe la Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Egypte, la Turquie, et l’Afrique du Sud. Créé en 2009 par Robert Ward, analyste au sein de The Economist Intelligence Unit, ces pays se caractérisent par une économie dynamique et diversifiée et disposent d’une population jeune, en forte croissance. Les EAGLES, « Emerging and Growth Leading Economies » sont composés du Brésil, de la Chine, de la Corée du Sud, de l’Inde, de l’Indonésie, du Mexique, de la Russie, de Taïwan, et de la Turquie. En 2010, BBVA introduit les pays dont la contribution à la croissance économique mondiale dans 10 ans sera en moyenne supérieure à celle des 6 plus grandes nations industrialisées. Les EAGLES’NEST est un groupe de 11 pays, qui sont susceptibles de rattraper les EAGLES, et qui contribueront davantage à la croissance mondiale que le plus petit contributeur du G7, à savoir l’Italie.
Un continent loin d’être émergent
En ce qui concerne l’Afrique, le premier chapitre à clore est celui des idées reçues et qui ont été battues en brèche. Parce qu’elle se situe uniquement en mode macroéconomique, la configuration des pays « croissants » africains est quelque peu erronée. L’analyse la plus explicite que nous ayons relevée est celle du Français Dominique Darbon, politiste au laboratoire Les Afriques dans le Monde.
Pour cet observateur pointilleux, en terme global, si l’on regarde l’évolution du PIB du continent africain incluant l’Afrique subsaharienne, dite « Noire » autrefois, et l’Afrique du Nord, on a une hausse indéniable de la richesse continentale. Pour autant, l’Afrique n’est pas un continent émergent. Pour deux raisons dont la première qui est que l’Afrique n’existe pas. Il y a des Afriques, tellement les situations nationales sont radicalement différentes.
Cinq pays représentent, à eux seuls, près de 75% de la richesse du continent, soit l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. En y rajoutant le Nigéria, nous avons la quasi-totalité, 75%, du PIB africain. Cela veut dire que nous avons une forte hétérogénéité de situations. Certains de ces pays connaissent une évolution positive sur le long terme. D’autres pays sont en crise, en conflit. Comme le Mali ou la République Démocratique du Congo, des États dont l’industrie minière s’est délitée et qu’ils n’arrivent pas à réguler. Inversement, affirme Dominique Darbon, des pays comme le Ghana, comme le Sénégal, comme l’Ouganda, comme l’Afrique du Sud, le Kenya, sont des pays qui connaissent des fortes capacités de régulation, une augmentation significative de la catégorie de dirigeants bien formés, d’entrepreneurs, et qui ont même des multinationales, qui aujourd’hui sont en compétition directe avec celles du Nord.
Un décollage continu pour émerger réellement
Si on a donc une amélioration globale, on relève en même temps que l’on a que quelques pays qui affichent une forme « d’émergences ». Non pas de la même manière que les pays du type Brésil, Inde ou Chine mais qu’on osera appeler de petits émergents. Pour Darmon, rejoint par d’autres observateurs de la Banque Mondiale, il y a de petites catégories sociales de relative prospérité qui sont en train de s’enrichir, et qui progressivement font monter le pays en matière de développement. Mais on est loin de pouvoir le comparer à ce qui se passe au Brésil, en Inde, en Chine par exemple.
En exemple, il s’est constitué une catégorie appelée « les BRICS », Brésil, Russie, Inde, Chine, et le S pour l’Afrique du Sud. Mais l’Afrique du Sud y est une pièce totalement rapportée, car l’Afrique du Sud, qui est le géant africain, c’est l’équivalent de 0,70% du PIB mondial. On est très loin du PIB Brésilien ou encore de celui indien et chinois. On a une situation d’émergence, d’amélioration de la situation, mais non pas un continent émergent. Les images que l’on donne aujourd’hui de cette nouvelle Afrique, ce sont des images qui caricaturent ce qui se passe. En fait, elles se focalisent sur les 5% les plus riches, qui ont toujours existé en Afrique mais qui sont aujourd’hui beaucoup plus représentatifs car on associe à l’émergence des valeurs positives.
À l’OCDE, on ramasse le tout dans une formule plus élégante mais tout aussi lapidaire. « L’Afrique a changé par nécessité. Elle ne deviendra pas du jour au lendemain un marché émergent « star » comme l’Asie ou l’Amérique latine, mais on peut s’attendre à ce qu’elle devienne un pôle d’attraction majeur. Les dirigeants africains ont maintenant conscience que l’aide internationale n’est plus le seul recours. Comme le notait récemment l’un d’entre eux, ce qu’il faut à l’Afrique, c’est moins de bons sentiments et plus de bons investissements. »
En termes de potentiel, plusieurs indicateurs sont cependant formels. Au dernier Forum Africa organisé par Afrique Expansion Magazine à Montréal, Charles Sirois, fondateur d’Enablis, un organisme qui sillonne l’Afrique pour aider des Africains à se lancer en affaires,
A affirmé sans ambages : « Les 20 prochaines années seront celles de l’Afrique ! » Un constat confirmé par le cabinet d’études McKinsey pour qui, de 2010 à 2015, sept des dix économies les plus dynamiques de la planète seront situées en Afrique. Et pour ceux qui croient que seul le secteur des mines et de l’énergie, aussi structurant soit-il tirait la croissance, il n’a contribué qu’au quart de la croissance de l’Afrique entre 2000 et 2008, selon McKinsey. L’essentiel s’est trouvé au niveau du commerce de détail, de la distribution, de l’agriculture, du transport, des télécommunications, du secteur manufacturier et des services financiers.
C’est en cela que l’Afrique a changé. Comme l’indiquent les Perspectives économiques en Afrique, publication conjointe du Centre de développement de l’OCDE et de la Banque africaine de développement, la croissance est de retour en Afrique. Cela surtout à cause de la soif d’exportations compétitives de l’Asie qui gagne le continent. Parallèlement, les gouvernements modifient leurs politiques et encouragent les investissements privés dans les projets viables et rentables ayant un impact durable sur le développement.