Depuis la chute du « Négus rouge », Mengistu Hailé Mariam, en 1991, les régimes successifs ont mis l’accent sur la valorisation de l’agriculture. Avec à la clé, une politique de transformation de la production qui, aujourd’hui, positionne l’Ethiopie comme un centre névralgique du développement de l’industrie textile en Afrique de l’Est.

Tout part de la création de l’Agence de la transformation de l’agriculture (ATA), avec pour ambition, à l’horizon 2020, d’amener l’Ethiopie à nourrir sa population et à devenir un pays exportateur de produits agricoles. En 2011, l’économiste Khalid Bomba, formé aux Etats-Unis, doit mettre l’expertise acquise auprès des géants américains JP Morgan et la Fondation Bill & Melinda Gates au service de la restructuration, du développement et de la modernisation de l’agriculture éthiopienne. À la faveur de cet engagement politique, les réformes agraires mises en oeuvre vont redorer l’image de ce pays longtemps associé à la misère et à la famine. En 2018, par exemple, l’ensemble des terres consacrées à la production du coton couvrent une superficie de 64 800 hectares dont 16 000 relevant des fermes d’État. Selon le ministère de l’Agriculture et des ressources naturelles, le plan stratégique national de développement du coton est plus ambitieux encore.

Celui-ci prévoit, sur la période 2017-2032, de renforcer la collaboration interministérielle et d’intensifier les campagnes de promotion auprès des agriculteurs, dans le but de faire de l’Ethiopie un producteur majeur de coton, exploitant un million d’hectares de terres et produisant 2,6 millions de tonnes par an.

Offensive de charme

Mais, l’Ethiopie, modeste producteur de coton, tourne le dos à l’exportation de la fibre de coton. Elle opte pour la mobilisation des ressources en vue d’asseoir une dense chaîne de valeur industrielle. Ici, l’objectif visé est de transformer localement le coton pour approvisionner en matières premières, une filière textile en net développement. En juillet 2017, au terme d’une mission effectuée en Inde pour la promotion des investissements dans le textile en Ethiopie, le ministre de l’Industrie, Bogale Feleke, soulignait que son pays compte attirer 150 entreprises dans le secteur, dont les entreprises indiennes et chinoises, développer 13 parcs industriels qui offriront aux opérateurs des terrains, de l’eau et de l’électricité à des coûts incitatifs, et maintenir le cap sur l’augmentation de la superficie de production du coton qui devrait passer de 20 à 80 % des trois millions d’hectares de terres disponibles. Cette vision engage l’Ethiopie à se positionner comme un hub du textile en Afrique de l’Est. Pour ce faire, le pays accorde un intérêt particulier à la remise à niveau des principaux acteurs de la filière. Ainsi, l’Institut pour le développement de l’industrie textile leur fournit gracieusement des formations ciblées allant du patronage par l’ordinateur au tissage, en passant par des machines de couture entièrement informatisées.

Selon le ministère de l’Industrie éthiopien, ces activités planifiées ont permis de produire une main d’oeuvre de qualité et donner une réelle impulsion à l’industrie textile qui enregistre, à l’occasion, la création d’une centaine de manufactures florissantes. En termes de contribution à la richesse nationale en Ethiopie, le secteur du textile passe à près de 2 % du Produit Intérieur Brut (PIB). Il est d’ailleurs soutenu par la délocalisation des unités industrielles d’Asie et d’Europe pour une production finale destinée à l’exportation. En effet, selon l’Institut éthiopien de développement de l’industrie textile (ETIDI), les exportations en valeur de produits des usines de textiles et d’habillement dans le parc industriel d’Awassa, au sud de l’Ethiopie, ont rapporté, mensuellement, 1,5 million $ en 2016, soit environ 25 % du total des recettes en devises (plus de 400 millions $) que le pays avait prévu d’engranger pour financer le budget de l’Etat en 2017.

Développer des sites pour le textile

L’embellie est d’autant plus fructueuse pour l’économie éthiopienne que le Service économique national relève que 8 sur 18 usines installées dans le parc industriel d’Awassa, exportent leurs produits vers le marché mondial. À brève échéance, dès que ce parc sera entièrement opérationnel, il pourrait produire une masse de recettes de 1 milliard $ par an et employer environ 6000 personnes. Bien plus, le gouvernement éthiopien a inauguré, en juillet 2017, un second parc industriel de 90 millions $ à Kombotcha, et lancé en janvier 2018, la construction d’une usine de textile d’un coût de 220 millions $ dans la ville de Dire Dawa, sur une superficie de 40 hectares, pour environ 3000 emplois attendus. Toutefois, il faut noter que la relance de la filière textile en Ethiopie repose sur un solide partenariat avec les investisseurs étrangers. La majorité des parcs industriels éthiopiens sont construits par des entreprises chinoises. Celles-ci, de plus en plus, opèrent un transfert de technologies nécessaires pour le développement de ce pays qui renferme très peu de ressources naturelles. Dans le même sillage, en 2017, l’entreprise textile allemande KIK, à la recherche de nouveaux marchés de production en dehors de l’Asie, prend pied en Ethiopie et multiplie par quatre ses volumes d’achat en Afrique. KIK importe alors de l’Ethiopie, près de 12 millions de T-shirts, leggings, jeans et vestes softshell. En raison des coûts incitatifs des facteurs de production et de la grande tradition des populations dans la manipulation du textile, le rêve éthiopien se transforme en réalité. Selon une enquête menée en 2017 par le cabinet McKinsey auprès de 40 entreprises de textiles en vue, une sur trois prévoit de délocaliser une partie de sa production en Ethiopie au cours des cinq prochaines années.

Le textile, une manne sous-régionale

Au plan fiscal, l’Afrique de l’Est s’organise pour tirer le meilleur bénéfice de la grande vitalité du secteur du textile. En effet, en 2017, les dirigeants ont pris la décision salutaire d’exonérer, pour une période de trois ans, les fabricants de produits textiles des droits de douanes et de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les importations d’équipements de fabrication et d’accessoires. L’enjeu étant de stimuler la croissance de l’industrie textile et manufacturière dans la zone. Selon le cabinet McKinsey Retail Practice, l’Afrique de l’Est, tirée par l’Ethiopie et le Kenya, renferme un grand potentiel pour devenir le centre mondial de fabrication des T-shirts, pantalons et autres produits textiles de base. La même source indique que l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda ont enregistré 337 millions $ en exportation d’habillement. Selon les statistiques disponibles, l’industrie textile au Kenya emploie 300.000 personnes et a contribué à hauteur de 9% à son PIB en 2016. Ce, du fait du grand volume des investissements directs étrangers en provenance d’Asie et du Moyen-Orient et des mesures prises par les chefs d’Etat de l’Afrique de l’Est en 2016, à Arusha, pour bannir dans la sous-région, l’importation des vêtements d’occasion (friperie) au plus tard en 2019. En conclusion, aucune situation, aussi défavorable soit-elle, ne devrait être considérée comme un obstacle irréductible au développement des pays africains. Cela est vrai pour l’Ethiopie. Cela est également vrai pour l’Afrique de l’Est. Ces deux entités ont su valoriser le secteur du textile pour créer des emplois, accroitre le volume de leurs exportations et mobiliser les devises pour relancer leurs économies.

Jean-Mathias KOUEMEKO

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here