Après trois années d’études et de tractations dans les cabinets d’experts commis par l’Union africaine, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) est née en mars 2018 avec la Déclaration de Kigali. Prioritairement, elle devrait travailler en urgence avec les dirigeants africains qui gèrent des réalités socio-juridiques disparates, afin de répondre aux contraintes de l’intégration économique et commerciale de l’Afrique.
Le vent de la libéralisation qui a soufflé sur nombre de pays africains dans les années 90 a fondamentalement bousculé les réflexes monopolistiques des États et le pluralisme s’est installé au cœur du jeu politique. Parallèlement, l’économie a revêtu le manteau du libéralisme qui voudrait que l’État soit davantage régulateur et non agent économique.
Faciliter la mobilité
Selon la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), Vera Songwe, la déclaration de Kigali se donne pour ambition de multiplier par deux le commerce intra-africain en supprimant les barrières tarifaires et non-tarifaires sur les biens et services. Cette façon de voir représente un appel aux chefs d’État et de gouvernements africains qui devraient relever le défi d’ajuster leurs réglementations restrictives. Notamment, en protégeant le droit de résidence et celui de faire des affaires, en créant des entreprises et en supprimant les visas d’entrée. De même, un travail en profondeur devrait être effectué pour migrer vers l’adoption par les pays africains des passeports « Afrique » en lieu et place de ceux en circulation qui sont délivrés dans les différentes sous-régions créées à la faveur des accords de Lagos (avril 1980) pour porter les premiers déclics de l’intégration en Afrique.
L’autre défi de la ZLEC devrait reposer sur la nécessité d’harmoniser les législations nationales en matière de création des entreprises, en l’occurrence les petites et moyennes entreprises qui représentent près de 80% des entreprises africaines. Déjà, dans certains États africains, les textes récents raccourcissent considérablement les délais de création des entreprises et accordent des moratoires substantiels dans l’arsenal des mesures incitatives prévues. Par cette voie, chaque pays africain, en fonction de son potentiel, pourrait trouver le moyen de produire des biens et services pour garantir sa place dans le train de l’intégration africaine en chantier.
Ainsi donc, les chaussures manufacturées en Éthiopie circuleraient jusqu’en Afrique centrale ; les beaux boubous et gandouras du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie se retrouveraient sur les marchés maghrébins ; et toutes les compagnies aériennes africaines, sur la base des conventions gagnant-gagnant, devraient s’adresser aux ateliers performants de maintenance de Ethiopian Airlines et South African Airways en Éthiopie et en Afrique du sud pour la réparation et la maintenance de leurs aéronefs, au lieu d’aller payer plus cher pour la même qualité de service en Occident.
Harmoniser les législations du travail
Au plan de la législation encadrant le travail, les horloges africaines devraient être réglées à la même heure. Il s’agirait de mettre en cohérence les contenus des codes de travail en vigueur dans les pays africains avec les objectifs de la ZLEC. Dans cet ordre, les articulations des législations nationales en matière de travail devraient s’accorder sur les différents types de contrats de travail, à savoir : contrat à durée déterminée ou indéterminée, contrats de temporaire, d’occasionnel ou de saisonnier. Etant donné que le mouvement de l‘Afrique vers l’intégration économique et commerciale pourra donner l’occasion aux compétences et autres expertises de répondre aux offres d’emplois là où elles sont rendues publiques ou d’implanter leurs affaires dans les États africains qui garantissent leur prospérité.
De plus, il faut souligner que la volonté de libéraliser les activités économiques devrait s’adosser sur la latitude donnée aux opérateurs économiques de négocier directement leurs rémunérations avec les personnels en instance de recrutement. Cette approche expérimentée dans nombre de pays africains au début des années 90 a ouvert une nouvelle pratique en entreprise où le classement catégoriel des nouvelles recrues ne s’appuie plus sur le diplôme, mais, sur la capacité de l’employeur à soutenir la rémunération arrêtée de commun accord avec le chercheur d’emploi. En d’autres termes, on parlerait des contrats de travail qui se passent librement entre les parties.
Au plan syndical, les gouvernements devraient réfléchir à la meilleure formule pour mettre ces regroupements professionnels au service de la responsabilité réciproque et de la productivité. Aussi, les textes qui régissent les rapports entre les mouvements corporatistes et les porteurs d’investissements et de services devraient-ils reposer sur la célébration du dialogue social et la négociation. Car, les affaires qui peuvent prospérer n’aiment pas de bruit.
Impliquer la société civile
Il faut également souligner que l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine devrait certainement faire appel à une société civile forte et soucieuse des grands enjeux de l’intégration de l’Afrique. À l’intérieur des différents États africains, des conditions doivent être mises sur pied pour promouvoir l’implication maximale des ONG, des associations et des leaders d’opinion dans la construction d’un environnement où la gouvernance s’invite à toutes les tables.
Dans cet ordre, l’Initiative AfroChampions, une association de grands investisseurs africains, a entrepris de signer avec l’Union africaine un mémorandum d’entente pour la promotion de l’accord portant création de la ZLEC. Cette adhésion à l’esprit de Kigali devrait être perçue comme une onction de l’élite économique africaine au développement des échanges commerciaux intra-africains.
Comme pour être plus concrète, l’Initiative AfroChampions, présidée par le Nigérian Aliko Dangote, annonce déjà une contribution d’un million de dollars pour financer les actions de sensibilisation et d’information en direction des chefs d’entreprises d’une part, et, d’autre part, des gouvernements africains qui peuvent prendre des textes contre les barrières tarifaires et non-tarifaires, bannir les règles d’origine, garantir la libre circulation des capitaux et des travailleurs et reconnaitre mutuellement les produits et leur traçabilité.